Duchesse de Berry
La duchesse de Berry se baignant à Dieppe vers 1824 est parfois présentée comme l’inventrice des bains de mer en France alors que l’activité balnéaire y existe depuis le milieu du 18e siècle. Cette histoire démontre l’importance et la force de la publicité pour faire valoir une pratique encore élitiste au début du 19e siècle.
Dieppe quand survient la duchesse de Berry
L’activité des bains de mer n’est pas nouvelle à Dieppe au début du 19e siècle puisque la ville est fréquentée pour le bain médical depuis le 14e siècle, en guérison principalement de la rage (Rogère, 1973).
Au début des années 1820, quand arrive la duchesse de Berry, la ville de Dieppe dispose déjà d’un établissement de bains de mer, créé en 1812 par le Dieppois Jean-Baptiste de Paris. Mais les élites locales ne le trouvent pas suffisamment prestigieux. Elles décident de le remplacer, en créant la Société anonyme des Bains de mer de Dieppe en 1822. Le comte de Brancas, sous-préfet de la ville, milite pour le séjour de personnes royales à Dieppe (Bertho-Lavenir, 1999: p. 29) et, deux ans après l’ouverture du nouvel établissement, la duchesse de Berry honore la ville de sa présence. Il y a d’ailleurs parfois une confusion dans les récits historiques entre la création de cet établissement et la première venue de la duchesse.
Exploiter la présence d’une célébrité
Cet établissement de bains, désormais patronné par Marie-Caroline de Bourbon, duchesse de Berry, est alors dénommé les Bains Caroline. Ce principe n’est pas unique: à La Rochelle en 1827, un premier établissement de bains est créé, dénommé les Bains Marie-Thérèse, du nom de la duchesse d’Angoulême, dauphine de France à l’époque, ou les Bains du Mail, selon sa situation géographique (Augeron et Mahé, 2012). Mais contrairement à Dieppe, la personnalité royale ne daignera pas venir à La Rochelle.
La duchesse séjourne à Dieppe chaque année de 1824 à 1829, pour un séjour durant environ 6 semaines.
La présence d’une personnalité royale apporte plusieurs avantages. Tout d’abord, la duchesse de Berry est accompagnée d’une partie de la Cour et de leur domesticité. Marie-Caroline de Bourbon-Siciles, duchesse de Berry après avoir épousé le second fils du roi Charles X, est la mère du prétendant légitimiste au trône (Henri d’Artois, futur «Henri V», qui ne règnera jamais). Dieppe devient donc, pendant quelques semaines, un des lieux où il faut être pour approcher les gens de pouvoir.
Ensuite, la présence de la duchesse de Berry facilite l’équipement de la station balnéaire. La duchesse dispose sur place d’un bateau, le Furet, un cotre de l’État destiné au service particulier de son altesse. En 1826, un théâtre est construit en l’honneur de la duchesse (Taillandier, 2009), dont la présence facilite la venue de la troupe du Vaudeville (une des troupes parisiennes concurrentes de la Comédie Française), prévue au cours du mois d’août selon l’édition du Figaro du 17 août 1826. Les journaux font écho de cette vigueur apportée par les membres de la famille royale.
«La ville de Dieppe a subi d’heureuses métamorphoses. Nous touchons à l’époque où, animée et vivifiée par le séjour de Madame la duchesse de Berry, et peut-être par la présence de son auguste famille, elle doit prendre un aspect plus riant encore et paraître en quelque sorte une ville nouvelle.»
Le Corsaire du 30 juin 1829
Elle préside également, en 1829, l’inauguration du bassin portuaire Bérigny, et l’érection d’un obélisque commémoratif d’une victoire d’Henri IV dans un village à proximité.
Enfin, la duchesse de Berry est une figure dont s’emparent les médias de l’époque. Nous sommes ici dans le cas de l’utilisation d’une célébrité à des fins de communication, sujet connu et débutant dans les années 1970 selon les marketeurs (Danglade, 2013) mais, en fait, bien plus ancien. Le principe est connu ailleurs, comme à Biarritz avec le couple impérial Napoléon III et Eugénie, mais Dieppe se caractérise par une utilisation très précoce du séjour d’une personnalité pour promouvoir le lieu touristique. Marie-Caroline de Bourbon n’est d’ailleurs pas dupe de son image publique: elle remet ainsi à la mairie de Dieppe son portrait peint par Dubois-Drahonet durant l’un de ses séjours.
Dieppe après la duchesse de Berry
Après les Trois Glorieuses (juillet 1830), un nouveau régime, la Monarchie de Juillet (1830-1848), est institué en France: les Orléans remplacent les Bourbons. La duchesse ne vient donc plus à Dieppe. Elle soulève une partie des régions françaises contre le nouveau régime en 1832 mais elle échoue. Elle est arrêtée et condamnée à l’exil à l’étranger, où elle meurt en 1870.
Les autorités locales de Dieppe s’inquiètent alors de l’avenir incertain de la station balnéaire (Taillandier, 2009), ce d’autant que le nouveau régime préfère d’autres lieux, comme Le Tréport et Trouville-sur-Mer. Des Bains populaires sont tout de même créés en 1834 par Colette Quenouille, pour attirer une nouvelle clientèle, moins fortunée, au grand dam des administrateurs des Bains Caroline qui tardent à débaptiser l’établissement malgré l’insistance municipale (Collectif, 2007: p. 4). La présence de la duchesse a donc eu un réel effet sur le développement socio-économique de Dieppe, même si elle n’a pas été à l’origine de l’activité balnéaire.
Mais cette confusion entre la réalité et la «légende» amène des erreurs d’interprétation dans l’histoire des bains de mer (par ex., Tréguer, 2003: p. 77, ou Hébert, 2014, entre autres; voir Vincent, 2018). On doit semble-t-il plus précisément aux mémoires de Madame de Moigne cette légende du premier bain de mer pris en France par la duchesse (Bonneau, 1977: p. 13). Ainsi, certain(e)s auteur(e)s doivent décaler l’émergence des bains de mer en France pour coller à la légende: par exemple, les débuts de l’activité balnéaire en France se font véritablement vers 1860 pour Françoise Deherly (2020). Cette confusion permet à la ville de Dieppe de se prévaloir très tôt de la primauté historique de la villégiature balnéaire française.
Cette légende est également reprise par les acteurs touristiques régionaux jusqu’à nos jours, comme par exemple Seine-Maritime Tourisme sur leur site Internet en 2022.
Bibliographie
- Augeron Mickaël et Mahé Jean-Louis, 2012, Histoire de La Rochelle. La Crèche, Geste Éditions, 248 p.
- Bertho-Lavenir Catherine, 1999, La roue et le stylo: comment nous sommes devenus touristes. Paris, Odile Jacob, 438 p.
- Bonneau Michel, 1977, «Tourisme et villégiature balnéaire en France et en Belgique vers 1850», Hommes et Terres du Nord. p. 13-22, en ligne.
- Collectif, 2007, «Dieppe, stations balnéaires, 1822-2007», Quiquengrogne. n°43, juillet, 16 p.
- Danglade Jean-Philippe, 2013, Marketing et célébrités. Paris, Dunod, 208 p.
- Deherly Françoise, 2020, «Histoire des bains de mer», Le Blog Gallica. 13 juillet, en ligne.
- Hébert Didier, 2014, «Urbanisation de la Côte Fleurie. Principes, organisation et développement (1830-1914)», Histoire urbaine. n°41, p. 45-61, en ligne.
- Rogère Claude, 1973, Une thérapeutique d’autrefois: le traitement de la rage par les bains de mer à Dieppe. A compte d’auteur, 16 p.
- Taillandier Isabelle, 1990, La villégiature à Dieppe sous la Restauration : une pratique aristocratique. Éditions Bertout-Luneray, préface d’Alain Corbin, FeniXX, 150 p.
- Tréguer Yves, 2003, La thalassothérapie. Le Cavalier bleu, coll. «Idées reçues», 125 p.
- Vincent Johan, 2018, «L’origine des bains de mer. Décryptage du Magasin pittoresque de juillet 1857», Fonciers en débat. juillet, en ligne.