Croisière maritime
La croisière maritime illustre avec force la capacité du tourisme à transformer un mode de transport rendu obsolète par les progrès techniques et l’avènement de l’aviation comme mode de franchissement des longues distances en un ensemble de propositions touristiques particulièrement dynamique.
Une entrée tardive sur la scène touristique mondiale
Les croisières maritimes connaissent depuis les années 1960, période de leur apparition dans leur forme actuelle, de nombreuses mutations et constituent une forme touristique protéiforme. Nées de la déshérence des bateaux concurrencés par l’arrivée des avions à réaction, le transport de passagers en bateau devient caduc. Des entrepreneurs, tels que Ted Arison ou Knut Kloster (ils créent Norwegian Cruise Lines en 1966, puis Ted Arison fonde Carnival Cruise Lines en 1972), décident de reconvertir des bateaux en lieu de divertissement, le fun ship est ainsi né.
Des clubs flottants
Fondée sur l’itinérance, la croisière est une prestation tout-inclus associant hébergement, restauration, offre en divertissement et escales. L’activité a évolué vers des resorts flottants où l’offre en divertissement devient pléthorique, chaque compagnie rivalisant pour proposer des attractions toujours plus spectaculaires. Cette évolution a accompagné le gigantisme caractéristique de la construction navale actuelle. Des bateaux pouvant accueillir des milliers de passagers deviennent la norme (51% des bateaux mis en circulation entre 2018 et 2027 font plus de 2 500 passagers et 23% plus de 4.500 passagers) avec un maximum de 6.988 passagers (et 2.300 membres d’équipage) pour le plus gros bateau au monde, le Wonder of the Seas.
L’augmentation de la taille des bateaux offre un double intérêt. Elle autorise de nouveaux équipements : les piscines sont devenues des parcs aquatiques avec toboggans sur plusieurs dizaines de mètres, des tyroliennes traversent les bateaux, les parois se dotent de murs d’escalade, les restaurants et bars se comptent par dizaine… D’autre part, elle permet de réaliser des économies d’échelle et donc de proposer des prix plus attractifs participant à l’ouverture à de nouvelles clientèles. Le nombre de croisiéristes est passé de 3,6 millions en 1990 à 29,6 millions en 2019 (CLIA, Cruise Lines International Association). Cependant, cela ne représente qu’environ 2% des déplacements touristiques ce qui laisse penser qu’une croissance est encore possible.
Une offre désormais mondialisée même si l’Amérique du Nord domine
D’abord proposée en Caraïbe pour une clientèle nord-américaine, celle-ci continue de dominer même si elle baisse en valeur relative face à la croissance des autres nationalités. Aujourd’hui un croisiériste sur deux reste nord-américain et c’est aux États-Unis que le taux de pénétration est le plus fort (3,2%, contre 2,7 pour le Royaume-Uni et l’Irlande ou 0,9 pour la France, CLIA). Les croisiéristes européens ont connu une croissance forte durant la décennie 2000 et représentent 26% du total mondial en 2019. Dernier marché à être visé, la Chine. Depuis 2006, date de l’ouverture du pays aux activités touristiques maritimes, le pays a d’abord a connu un timide développement de l’activité au départ de ses ports avant de devenir très rapidement un marché prioritaire. Avec 1,9 million de croisiéristes en 2019, la clientèle chinoise s’est hissée à la quatrième position mondiale.
Les principaux bassins de navigation restent la Caraïbe, la Méditerranée, les côtes chinoises et australiennes, mais toutes les mers du monde sont aujourd’hui investies, et tout particulièrement les pôles nord et sud. Les croisières polaires d’expédition connaissent un très fort engouement et sont proposées principalement par des compagnies spécialisées sur ce segment.
Des opérateurs entre concentration et spécialisation
L’offre est marquée par une concentration des opérateurs et est dominée par les armateurs étatsuniens, mais elle s’est néanmoins diversifiée. Trois groupes possèdent l’essentiel des capacités déployées dans le monde (Ill. 1): Carnival, Royal Caribbean Cruise Line et Norwegian Cruise Line Holdings et partagent la même stratégie de regrouper plusieurs compagnies positionnées sur différents segments de clientèle et géographiques. A ces trois groupes s’ajoute la compagnie MSC ainsi que d’autres opérateurs aux flottes plus modestes et spécialisés dans un secteur géographique ou un type de croisières. L’offre s’est diversifiée et plusieurs segments peuvent être identifiés. Les croisières d’entrée de gamme, de mass market, ou appelées aussi contemporary dominent quantitativement. Elles correspondent aux bateaux de grande taille, offrant de multiples équipements et relativement peu d’escales. Elles offrent aussi les prix les plus attractifs. Les gammes premium, luxury et ultra-luxury se distinguent par des bateaux plus petits, des prestations moins nombreuses mais plus sophistiquées, une plus grande qualité de service mais aussi par des itinéraires moins fréquentés rendus inaccessibles aux très grands bateaux.
La croisière maritime connaît donc une forte croissance soutenue par les importants investissements des opérateurs qui alimentent de nombreuses innovations à bord des bateaux. Elle soulève aussi de multiples critiques et enjeux sur son impact environnemental et sociétal. Cette activité au succès mondial et particulièrement résiliente aux crises économiques (jusqu’à la crise sanitaire de Covid-19) marquera-t-elle le pas face à ces défis?
Bibliographie
- CLIA, 2021, Global market report 2020. 6 p.
- Dehoorne Olivier, González Pérez, Jesús Manuel et Renaud Luc (dir.), 2020, «Le tourisme de croisière: défis et perspectives», Études Caribéennes. n° 47, en ligne.
- Dowling Ross, Weeden Claire (dir.), 2017, Cruise ship tourism. Wallingford, CABI, 2de édition, 600 p.
- Gay Jean-Christophe et Mondou Véronique, 2017, Tourisme et transport: deux siècles d’interactions. Paris, Bréal, 255 p.