Conservatoire du littoral
Le Conservatoire du littoral est un établissement public administratif français institué par la loi du 10 juillet 1975, qui fait apparaître pour la première fois le mot «écologie» dans le droit français. Il doit permettre la protection des rivages dans un contexte d’expansion des activités économiques, industrielles et touristiques, dont le développement se fonde sur des investissements provenant en partie de l’extérieur de ces territoires.
Une création motivée par une volonté de préserver
La création du Conservatoire du littoral, préconisée notamment par la Mission Picquard de 1972, est inspirée du National Trust britannique et de l’expérience des missions interministérielles d’aménagement de la côte du Languedoc-Roussillon (dite Mission Racine) et de la côte aquitaine (MIACA). À l’époque, les protections réglementaires ne suffisent pas à protéger les espaces de nature les plus convoités. En effet, les rapports de force sont intenses dans les secteurs convoités, ce qui conduit à des changements de réglementation. De plus, la réglementation est souvent une «interdiction de faire» (Gérard, 2021).
Le choix par l’État du modèle du «tout tourisme» sur le littoral languedocien est alors contesté en son sein même, ainsi que par des mouvements locaux et une partie du milieu politique. Or, certains secteurs à forte biodiversité abandonnés se dégradent et nécessitent une mise en gestion appropriée pour garder leur dynamique. Pour pallier ces problèmes, le Conservatoire du littoral créé en 1975 a pour vocation d’acheter des terrains pour les protéger et les remettre en gestion (par exemple à des agriculteurs), mais sans obligation systématique d’ouverture au public.
Les terrains acquis sont inaliénables (impossibilité de les vendre) et ce droit est imprescriptible. Ces prérogatives font du Conservatoire du littoral un outil d’aménagement particulièrement disputé entre les ministères, avant qu’il ne revienne, à partir de 1981, au ministère de l’Environnement, notamment parce que, selon le ministre de l’époque Michel Crépeau, «les terrains acquis par le Conservatoire depuis sa création constituent désormais, aux yeux de tous, un patrimoine national, comme le sont devenus les parcs nationaux» (Bécot et Parrinello, 2020).
Conservation et valorisation
La démarche du Conservatoire du littoral repose sur l’imbrication étroite entre protection et valorisation. Ainsi, si certains acteurs du tourisme encouragent la colonisation des littoraux, ceux-ci perçoivent en même temps comme une menace l’absence de limites à cette dynamique, avec une saturation qui risquerait de dégrader l’environnement. Les agents du Conservatoire voient l’institution comme un instrument de correction des impensés des politiques d’aménagement menées dans les décennies précédentes (Bécot et Parrinello, 2020). Dès ses débuts, le Conservatoire commande des études ethnographiques et mobilise la photographie pour faire comprendre l’intérêt des territoires sur lesquels il intervient (Kalaora et Konitz, 2004). Même si la conservation est l’objectif assigné, il est amené à jouer un rôle d’animateur et de régulateur en relation avec les collectivités locales, les syndicats intercommunaux et les associations.
Le Conservatoire s’appuie sur des plans et des conventions de gestion. À 90%, ils sont passés avec des collectivités locales, mais certains terrains sont aussi gérés par des associations ayant pour but la protection de la nature et du patrimoine. Les plans de gestion déterminent dans le détail les objectifs et les actions à mettre en œuvre. Les conventions déterminent les droits et devoirs de chacun des partenaires, en particulier les financements et moyens humains. Les gestionnaires emploient près de 900 gardes chargés de la surveillance, des travaux d’entretien et de l’accueil du public. Au milieu des années 2000, environ 600 agriculteurs travaillaient les terres agricoles du Conservatoire (Braive, 2005). Le Conservatoire prend aussi en charge le patrimoine bâti ayant un intérêt du point de vue historique, architectural ou culturel.
Des effets de bord peuvent survenir à proximité des zones d’intervention du Conservatoire du littoral. Sur la Côte Bleue, Denis Berthelot et Jérôme Dubois (2010) constatent que l’établissement public est pris dans un jeu d’acteurs, entre ceux qui en bénéficient pour entretenir un entre-soi, conditionné par la vue sur mer et l’appropriation de l’accès au rivage, et ceux qui réclament un entretien important par crainte des incendies.
Certaines personnes et familles, richement dotées en patrimoine foncier, trouvent dans le Conservatoire du littoral un outil propice à un militantisme peu ordinaire, dans un état d’esprit très intéressé. La comtesse Jacqueline de Beaumont, l’une des premières à vendre au Conservatoire du littoral, propose en 1977 trois kilomètres de bord de mer longeant un terrain situé entre Pont-Aven et Moëlan-sur-Mer qui sont, ainsi, protégés de toute urbanisation, tandis que l’usage qu’en font ces propriétaires ayant gardé le bâti à proximité, n’est pas perturbé. De la même manière, pour remédier à l’envahissement du cordon dunaire par des touristes qui piqueniquaient, campaient et y laissaient des détritus, les cinquante-sept copropriétaires du domaine de Keremma font, en 1987, une donation de cent-dix hectares sur neuf kilomètres de côte au Conservatoire (Desouches, 2009; Buhot et al., 2012: p. 66-67 ; Vincent, 2015).
La loi de 2002, qui cadre formellement l’intervention du Conservatoire sur le domaine public maritime, constitue un aboutissement de l’institutionnalisation de ce dernier. Cette loi lui confère également un droit de préemption en propre, là où il devait autrefois passer par les conseils départementaux ou les Safer (sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural). Dans sa stratégie d’intervention à horizon 2050, élaborée en 2005, le Conservatoire vise désormais à garantir le «tiers sauvage» ou «tiers naturel», c’est-à-dire à préserver intact et définitivement le tiers des côtes françaises, tout en œuvrant pour le développement durable. En 2015, 13,1 % du linéaire côtier est protégé par le Conservatoire du littoral (Conservatoire du littoral, 2015).
Bibliographie
- Bécot Renaud et Parrinello Giacomo, 2020, «Gouverner le désir de rivage. La fondation du Conservatoire du littoral, 1972-1978», Le Mouvement social. n°271, p. 65-82, en ligne.
- Berthelot Denis et Dubois Jérôme, 2010, «Quand le rapport à la mer organise les inégalités résidentielles (Ensuès-la-Redonne, Côte Bleue, Bouches-du-Rhône)», dans Deboudt Philippe (éd.), Inégalités écologiques, territoires littoraux et développement durable. Villeneuve-d’Ascq, Septentrion, coll. «Environnement et société», p. 133-156.
- Braive Philippe, 2005, «L’association des populations locales à la protection du littoral et à la valorisation du patrimoine bâti dans les espaces naturels protégés: L’expérience française du conservatoire du littoral», 15th ICOMOS General Assembly and International Symposium: Monuments and sites in their setting – conserving cultural heritage in changing townscapes and landscapes – 17-21 octobre. Xi’an (China), en ligne.
- Buhot Clotilde, Gérard Yann, Vincent Johan, Herrera Catherine, Duvillard Sylvie, Rousseaux Frédéric, Turquin Élise, Bizien Marion, Renard Vincent, Tritz Céline, 2012, Propriété, conflits et dynamiques foncières sur le littoral: les grands domaines et le camping-caravaning sur parcelles privées (PROCODYF). Rapport Programme Liteau III pour le ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement des territoires, novembre, 95 p.
- Conservatoire du littoral, 2015, Fiche 4. Le tiers-naturel sur le littoral. en ligne [pdf].
- Desouches Olivier, 2009, «Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, entomologistes de la bourgeoisie», Idées économiques et sociales. n°156, p. 67-74, en ligne.
- Gérard Bernard, 2021, «Le Conservatoire du Littoral à travers les yeux d’un pionnier», Fonciers en débat. février, en ligne.
- Kalaora Bernard et Konitz Anne, 2004, «Le Conservatoire du littoral : entre patrimonialisation et médiation», Annales de géographie. n°635, p. 87-99, en ligne.
- Vincent Johan, 2015, «Grande propriété foncière et littoralisation des sociétés en France, 1750-1970», Le mouvement social. n°250, p. 65-79, en ligne.