Comptoir

Le comptoir constitue un type de lieu touristique qui s’inscrit dans la catégorie plus générale des lieux créés par et pour le tourisme, à côté de la station, au contraire des lieux historiquement constitués et investis par le tourisme, comme les sites et les villes ou villages touristiques. Mais il se distingue de la station par plusieurs caractères: c’est un lieu clos géré par un opérateur unique et dépourvu de population permanente.

Un lieu clos

Premièrement, le comptoir est un lieu fermé, alors que la station est ouverte. Il est isolé de son environnement par une discontinuité plus ou moins marquée. Cette dernière peut être matérialisée par un mur ou des grilles et des portes gardées qui y donnent accès, comme le montre la photographie de Port-Grimaud (Ill. 1), ou comme nous le voyons à Nabeul, en Tunisie (Ill. 2), ou être plus effacée, et seulement suggestive, où une guérite accueille un personnel plus ou moins débonnaire mais le passage n’est pas physiquement bloqué. Par exemple, sur la place de Port-Grimaud, qui prend des allures de village à l’instigation de son concepteur l’architecte François Spoerry, le jeu de pétanque est affiché comme réservé aux résidents (Ill. 3), alors que la traversée par les piétions peut être autorisée, à conditions de respecter certaines règles (Ill. 4).

Cet isolement par rapport à la société locale est souvent pointé comme une contradiction: ces individus veulent aller dans le monde mais ils se tiennent dans une situation d’extraterritorialité qui les en sépare (Ill. 5). Or, cela constitue une des raisons d’être de ce type de lieu car il permet aux touristes de se tenir partout dans le Monde. Cela rend compte de ce que les comptoirs dominent dans des destinations marquées par une forte altérité, sans être absents des espaces plus familiers. En effet, ce type de lieux fonctionne aussi bien dans la proche campagne, comme le montre les établissements de l’entreprise Center-Parc, là où des citadins peuvent s’établir et habiter sans craindre l’ennui, que dans les espaces exotiques.

Ill. 1. Entrée de Port-Grimaud, un lieu clos, symboliquement (cl. Ph. Violier, 2006)

Ill. 2. Entrée du Club Med de Nabeul, Tunisie (cl. Ph. Violier, 2006)

Ill. 3. Sur la place, le jeu de pétanque est réservé aux résidents de Port-Grimaud (cl. Ph. Violier, 2006).

Ill. 4. Mais la traversée à pied est autorisée, si tenue correcte… (cl. Ph. Violier, 2006)

Ill. 5. Lieu fermé: si le touriste le souhaite, il n’est pas contraint de sortir du comptoir pour acheter des souvenirs alignés en retrait du bord de la piscine (cl. Ph.Violier, 2006).

Géré par un seul opérateur

Ensuite, le comptoir en tant qu’idéal-type est dirigé par un seul opérateur au contraire des stations. Cette hégémonie soutient un projet touristique censé répondre à tous les besoins des individus. En réalité la clôture est aisément franchie par les touristes à la recherche d’autres expériences. Ainsi, lorsque les risques sont inexistants, le comptoir est plutôt une solution adoptée par une organisation pour commercialiser des services (Ill. 6). Le regroupement garantit à l’entrepreneur l’accumulation des gains à son profit, même s’il est impossible d’empêcher totalement les sorties (comme le montre la photo de la ville de Nabeul (Ill. 7) qui se feraient au profit de concurrents profitant de leur localisation à proximité.

Ill. 6. Plan du club Med de Nabeul: répondre à l’ensemble des besoins du touriste (cl. Ph. Violier, 2006)

Ill. 7. À Nabeul une fermeture partielle, le paysage urbain montre bien les sollicitations par les touristes: rues rutilantes, commerces d’objets dédiés aux touristes… (cl. Ph. Violier, 2006)

Dépourvu d’habitants permanents

Enfin, le comptoir n’est pas, à la différence de la station, un lieu de vie permanent. Ni collège, ni école primaire pour accueillir des enfants qui du reste viennent d’ailleurs et ne s’y pressent que pendant les vacances scolaires. Seuls peuvent y résider plus ou moins longtemps, les personnels employés et qui assurent son fonctionnement.

Une variante: le comptoir sans hébergement

Au sein des comptoirs, se distinguent ceux qui sont dédiés à une pratique touristique et qui offrent peu ou pas d’hébergement. Ainsi, au sein du parc Astérix (Ill. 8), la capacité d’hébergement, récemment constituée et en croissance, n’est pas à la hauteur de la fréquentation du lieu. Trois hôtels offrent 450 chambres, soit trop peu pour les 2,3 millions de visiteurs (même en en comptant un remplissage maximal, soit cinq personnes par chambre pendant 365 jours, alors que le fonctionnement marque une saisonnalité, on obtient quelques 800.000 personnes hébergées sur place). À propos du Puy du Fou, nous le qualifierons aussi de comptoir et non de site, bien que s’y dresse la ruine d’un château mais il ne joue pas un rôle majeur sur le plan de la fréquentation.

Ill. 8. Le parc Astérix, situé au nord du village, sur le territoire de Plailly, mais branché sur l’autoroute A1 (source: Géoportail)

Dans le même ordre d’idée, les grands zoos isolés hors des villes sont des sites, comme le zoo de Beauval. Là aussi, la nécessité d’innover et de renouveler l’offre chaque année a fini par justifier auprès du public le passage de l’excursion à la journée au séjour, et du coup au sein de parc afin de profiter d’avantages consentis comme l’accès à des visites nocturnes ou à l’aube…

Ill. 9. Plan du parc Astérix, les hôtels sont localisés au nord (source: Géoportail).

Un dispositif de la diffusion du tourisme dans le Monde

Le comptoir idéal-typique peut ainsi être interprété comme une forme conquérante et exploratoire du tourisme dans un espace a priori hostile. Le succès de la formule peut venir de la garantie de sécurité offerte dans un environnement marqué par des tensions sociales fortes. Mais il ne s’agit pas nécessairement d’une forme de colonisation au sens que l’équipement n’est pas systématiquement imposé à un État privé d’une partie de ses pouvoirs. Au contraire, dans certains cas, le gouvernement en place en favorise l’implantation. Le village du Club Méditerranée situé à proximité du cap Skiring au Sénégal a été implanté avec l’aval du Président Senghor. Nusa Dua à Bali a été un projet porté par le gouvernement indonésien avec le soutien des bailleurs de fond internationaux. L’objectif poursuivi était de contenir les effets attendus sur les habitants. Cette mise à l’écart des touristes, accusés de menacés les «équilibres» culmine avec les iles-hôtels étudiés par le géographe Jean-Chistophe Gay (2000). En particulier, à propos de l’archipel des Maldives, l’auteur met en évidence la volonté gouvernementale d’empêcher la contamination par toute une série de tares plus ou moins fantasmées.

Le comptoir a été aussi un mode de pénétration de milieux peu humanisés, comme la haute montagne, lorsque la rareté d’occupants permanents, ou leur faible engagement dans des territoires hostiles situés dans les marges de la société, et surtout lorsque les conditions de la vie hivernale étaient très difficiles. Ainsi peuvent se comprendre le développement des «stations intégrées» (Knafou, 1978). Mais également, un mode de pénétration de la campagne par les citadins. La concentration apporte aux touristes une réponse à l’angoisse de s’ennuyer dans un milieu sinon hostile du moins méconnu. Et c’est là l’erreur d’appréciation commise par Marc Augé dans L’impossible voyage (1997). À la fin de son texte, il oppose la vraie campagne à la fausse (Center Parc). Ici, il ne s’agit pas tant de proposer une autre campagne que de mettre à la disposition de citadins une technologie spatiale qui leur permet de vivre bien, voire très bien, dans un environnement avec lequel les citadins visés ne sont pas familiers. Ainsi, les établissements sont-ils situés à une distance relativement faible, de l’ordre d’une heure et demie d’un espace métropolitain pour être facilement accessible pour une courte durée, de l’ordre de du week-end et qui n’excède guère une semaine.

La dynamique des comptoirs

Au-delà du type idéal, les comptoirs ont évolué notamment par une diversification des opérateurs et par une ouverture progressive, évolutions qui tendent au passage à la station. Ainsi, historiquement, des lieux comme La Baule-Escoublac ont d’abord été des juxtapositions de lotissements clos et autonomes avant de se constituer en stations (Vighetti, 1974). De même, les propriétaires arrivés à la retraite commencent à habiter de manière permanente Port-Grimaud, qui de ce fait devient un quartier urbain distinct du village touristifié, et perché, de Grimaud.

Philippe VIOLIER

Bibliographie

  • Augé Marc, 1997, L’impossible voyage: le tourisme et ses images. Rivages, Rivages-Poche.
  • Knafou Rémy, 1978, Les Stations intégrées de sports d’hiver des Alpes françaises: l’aménagement de la montagne à la française. Masson, 379 p.
  • Gay Jean-Christophe, 2000, «Deux figures de retranchement touristique: l’île hôtel et la zone franche», Mappemonde. n°59, p.10-16, en ligne [pdf].
  • Vighetti Jean-Baptiste, 1974, Le tourisme à la Baule et en presqu’île guérandaise de 1820 à nos jours. La Baule, Édition des Paludiers, 4 vol.