Butler (modèle de)

Richard W. Butler a proposé, en 1980, un modèle d’évolution des lieux touristiques qui connaît encore un grand succès, notamment dans le monde anglo-saxon. Il a constitué une avancée importante en son temps, soulignant notamment que les lieux touristiques sont inventés par les touristes, aspect passé assez inaperçu, et s’engageant vigoureusement dans la modélisation. Mais il a été caricaturé. Butler suggérait plusieurs évolutions possibles, alors que ses thuriféraires n’ont retenu que: «trop de touristes, tue le tourisme». Et surtout, plusieurs raccourcis et anticipations hasardeuses peuvent être soulignés.

Richard Butler est géographe à l’Université de Western Ontario lorsqu’il publie en 1980, dans le Canadian Geographer (Vol. XXIV, p. 5-12), un modèle d’évolution des lieux touristiques qui associe la dynamique du lieu à différentes étapes de la croissance de la fréquentation.

Un modèle d’évolution des lieux

L’auteur s’est inspiré de la courbe de pénétration d’un marché par un produit, mobilisée en marketing. Si l’auteur envisage que la «saturation» ouvre la voie à plusieurs options dont le déclin n’est que l’une d’entre elle, sa proposition a souvent été réduite à cette dernière, et a été caricaturée par l’expression «trop de touristes, tue le tourisme». Par ailleurs, l’article va au-delà du modèle, puisque Butler aborde également la constitution d’un système d’acteurs depuis les entreprises jusqu’à la société locale.

Cette analyse a constitué en son temps une avancée. En effet, premièrement, elle s’inscrit dans une démarche de modélisation encore nouvelle dans la discipline. Surtout, elle bat en brèche la posture fixiste des spécialistes du tourisme qui mobilisaient des catégories comme le potentiel ou la vocation des lieux pour rendre compte de la mise en tourisme.

Butler, qui d’ailleurs convoque aussi bien Plog que Cohen (1972), associe le premier stade à l’arrivée d’individus qualifiés de peu nombreux, «allocentrics» (Plog, 1972), ou «explorers» (Cohen, 1972). Ainsi, la mise en tourisme est bien le fait des touristes qui organisent eux-mêmes leur déplacement: «making individual travel arrangements and following irregular visitation patterns». Cela avait été montré notamment par Micheline Cassou-Mounat dans sa thèse (1977) pour Arcachon.

Pourtant ce modèle comporte plusieurs limites

André Suchet (2015) a déjà émis des réserves au sujet de cette proposition, mais nous proposons d ‘approfondir les critiques. Premièrement, alors que le modèle marketing représente le taux de pénétration d’un marché donné par un produit, et que donc l’axe vertical mesure une progression en valeur relative, Butler le transfère en passant aux valeurs absolues, ce qui constitue sur le plan statistique une hérésie.

Ensuite et plus fondamentalement, si nous pouvons admettre aisément que l’afflux des touristes change la nature d’un lieu qui, de fait, devient urbain, par la présence même temporaire de citadins, en quoi et pourquoi cette évolution constituerait-elle un déclin? En effet, la tonalité catastrophiste mérite d’être interrogée. Si l’accroissement de la fréquentation est saisi comme une aubaine par les entrepreneurs pour investir, et même par les chaînes étrangères, cela n’aboutit pas nécessairement à l’exclusion des locaux. De nombreux exemples montrent que cette possibilité existe mais n’est en rien une fatalité. Plusieurs auteurs démontrent au contraire la vitalité du capitalisme régional et local, notamment Thérèse Rouleau-Racco à propos de Rimini (2017).

Ensuite, la transformation inévitable et incontestable du lieu est qualifiée de dénaturation et d’artificialisation:

«Natural and genuine cultural attractions will probably have been superseded by imported ‘artificial’ facilities. The resort image becomes divorced from its geographic environment.»

Ensuite, Butler, dans un souci au départ louable de modélisation, schématise à l’extrême et considère dans une même et unique évolution tous les lieux touristiques quel que soit leur type fondamental. Certes, la distinction claire entre lieux créés et lieux investis par le tourisme ne sera proposée par l’équipe MIT qu’en 2002, mais l’hypothèse qu’une ville touristique, soit un organisme à l’économie diversifiée, puisse évoluer d’une manière différente qu’une station, spécialisée en tourisme, manque à cette analyse.

Enfin, et surtout, la plupart des lieux touristiques historiquement constitués dès le 18e siècle sont encore touristiques, ou s’ils ne le sont plus, sont devenus autre chose, mais ils n’ont pas disparu. La dynamique des lieux est ainsi plus riche que ne le laisse supposer ce modèle. Certains lieux sont devenus des quartiers résidentiels au sein d’agglomérations. D’autres lieux, enrichis par le tourisme, se sont diversifiés, ce qui montre que le tourisme n’est pas une fin. Certes, un modèle est par définition schématique mais Butler va trop loin dans ce sens. L’équipe MIT dans l’ouvrage Tourisme 3. La révolution durable (2011) montre ainsi à la fois la résilience des lieux touristiques et cette variété des devenirs.

Philippe VIOLIER

Bibliographie

  • Cohen Eric, 1972, «Towards a sociology of international tourism», Social Research, n°39, p. 164‑182.
  • Équipe MIT, 2011, Tourismes 3. La révolution durable. Paris, Belin, 332 p.
  • Plog Stanley C., 1972, «Why destination areas rise and fall in popularity», Unpublished paper presented to the Southern California Chapter, The Travel Research Association.
  • Suchet André, 2015 , «Pour en finir avec Butler (1980) et son modèle d’évolution des destinations touristiques. Le cycle de vie comme un concept inadapté à l’étude d’une aire géographique», Loisir et Société / Society and Leisure. vol. 38, n°1, p. 7–19, en ligne.